Viendra-t-on à bout de l’épidémie de Covid-19 ?
Recueilli par Isabelle Mayault (à Genève) pour La Croix
Le cap du million de décès dans le monde dus au Covid-19 vient
d’être franchi. Sylvie Briand, directrice à l’OMS des risques épidémiques et pandémiques, revient pour « La Croix » sur l’évolution actuelle de la pandémie, l’état
de la recherche sur les vaccins et traitements, et les moyens d’endiguer la transmission dans les mois à venir.
Sylvie Briand
Directrice à l’OMS des risques épidémiques (Source : Sylvie
Briand)
La Croix : Neuf mois après la déclaration d’urgence sanitaire internationale, comment l’OMS évalue-t-elle l’évolution actuelle de la pandémie ?
Doit-on redouter un deuxième million de décès dans le monde dans les neuf mois à venir ?
Sylvie Briand : C’est très difficile à dire. Si on ne fait rien, oui, ce scénario
est à redouter. Mais personne ne veut baisser les bras. Entre le début de la pandémie et maintenant, les États ont appris les leçons
de la première vague. Ils ont mis en place des mesures correctives pour renforcer les systèmes de santé.
À présent la question qui se pose à chaque pays est : quelle est votre
capacité à traiter le virus tout en maintenant les services de soins essentiels ? Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que les interventions préconisées par l’Organisation mondiale de la santé,
lorsqu’elles se font bien, fonctionnent, que ce soit le traçage des contacts, qui vise à casser le plus en amont possible les chaînes de transmission, ou l’application des gestes barrières. Encore faut-il les mettre en
place très tôt, car une fois que le virus a commencé à circuler, il est bien sûr plus difficile de ralentir sa transmission. Or, c’est la clé pour protéger les systèmes de santé.
Certaines régions du monde, au vu de l’évolution actuelle, suscitent-elles une inquiétude particulière à vos yeux ?
S. B. :
L’hémisphère Nord s’apprête à entrer dans la saison hivernale, une saison propice au développement des virus grippaux et respiratoires, qui correspond aussi à la reprise des classes et des universités,
créant ainsi plus d’occasions de rassemblements en milieu clos. Il faut arriver à bien s’y préparer, sans pour autant stopper la vie sociale, mais en protégeant les populations les plus à risque : les personnes
âgées et les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires.
Quels progrès a-t-on réalisés dans la compréhension de la transmission de la maladie ?
S. B. : Quand l’épidémie a commencé, il y a plus de neuf mois, on ne savait rien de ce virus. En particulier, on ne savait pas s’il allait se comporter comme les autres virus respiratoires. Nous
connaissons désormais très bien son mode de transmission : les gouttelettes respiratoires, qui s’échangent lors de contacts directs de personne à personne, ou avec un objet contaminé. Comme les populations n’ont
pas d’immunité, il faut réduire au maximum cette transmission. C’est là que le masque joue un rôle important. C’est une barrière physique qui retient ces fameuses gouttelettes respiratoires. Seul, il ne suffit
pas. Mais il est indispensable dans les transports en commun, ou tout autre lieu clos non ventilé où il n’est pas toujours possible de respecter la distance physique.
Comment expliquer que l’Afrique
soit plutôt épargnée par le Covid-19 ?
S. B. : La première raison, c’est que la population est plus jeune, donc il y a moins de gens susceptibles de développer
une forme grave de la maladie. Par ailleurs, des mesures ont été prises extrêmement tôt pour repousser l’arrivée du virus. Ce qui a limité son impact. Mais il faut se garder de crier victoire trop tôt.
Quels sont pour vous les éléments porteurs d’espoir en matière de vaccins et de traitements ?
S. B. : En ce qui concerne le vaccin,
nous sommes dans les phases ultimes de développement, mais pour cela, des milliers de personnes doivent être testées, et un suivi effectué pour vérifier que tout se passe bien, à distance de l’injection. Mais
ayons à l’esprit que même quand nous disposerons de vaccins, on ne pourra pas vacciner tout le monde. Ils seront donnés en priorité aux personnes à risque. Les traitements seront divers, administrés en fonction
des différentes phases de développement que connaît la maladie. Le dexaméthasone, qui est un corticostéroïde, fonctionne bien chez les gens déjà en situation délicate, mais ça n’aurait
pas de sens de le prescrire à quelqu’un qui a une petite fièvre ou des maux de tête.
La récente mission de l’OMS en Chine visait à mieux comprendre les conditions dans lesquelles
le coronavirus est apparu. Cette question de l’origine du virus reste-t-elle importante aujourd’hui ?
S. B. : Il s’agissait d’une mission préparatoire de deux personnes,
pour définir avec les autorités chinoises le cadre pour une mission plus importante à venir. Les premières personnes détectées en Chine l’ont toutes été au marché de Wuhan, mais on ne savait
pas à l’époque si elles avaient mangé ou touché quelque chose dans le marché, ou si elles s’étaient contaminées les unes les autres. L’autre question cruciale était de comprendre à
quelle vitesse le virus se transmettait. Aujourd’hui, on a répondu à ces questions par l’observation du virus. Et l’on comprend beaucoup mieux comment ralentir la transmission. Ça ne veut pas dire que la question de la
source n’est pas intéressante. Mais comme certains chefs d’État ont ouvertement accusé la Chine d’être coupable de l’émergence du virus, des tensions ont émergé, que les scientifiques
ne sont pas forcément à même de pouvoir aplanir.
L’OMS explique-t-elle la quasi-disparition de la maladie en Chine, où elle est apparue à la fin de 2019 ?
S. B. : Les Chinois ont pris des mesures drastiques. Ils ont construit deux hôpitaux en dix jours. Le confinement de Wuhan a été extrême, il a duré plus de deux mois. Cette approche marche dans
certains endroits, mais elle n’est pas applicable partout.
Quelles leçons peut-on tirer pour les prochaines pandémies ?
S. B. : Cette pandémie
a réveillé les gens, en particulier les décideurs, en montrant que le danger n’est pas que théorique, et que la solution n’est pas de se recroqueviller sur ses frontières, mais de voir comment ce risque pandémique
peut se gérer tout en maintenant notre mode de vie. Donc la première leçon, ce serait : faire des ajustements. Et la deuxième, c’est l’importance de la communication. Il est essentiel de savoir bien calibrer le
message pour que les mesures attendues soient mises en place et bien acceptées sans pour autant faire peur à tout le monde.